Tableau d’occlusion intestinale à ventre souple : hernie diaphragmatique post-traumatique (estomac intra-thoracique)

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Tableau d’occlusion intestinale à ventre souple : hernie diaphragmatique post-traumatique (estomac intra-thoracique)

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  • Une femme médecin regarde les résultats d'un scanner sur son ordinateur - La Prévention Médicale

Les complications graves des hernies diaphragmatiques peuvent se révéler par un tableau d’occlusion intestinale sans anomalie de l’examen de l’abdomen. Dans un tel contexte, qu’il y ait ou non des antécédents de traumatisme thoraco-abdominal, il convient de pratiquer d’urgence un scanner thoracique qui, seul, permet le diagnostic. Toute hernie diaphragmatique mise en évidence de cette façon nécessite une intervention chirurgicale dans les plus brefs délais.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 08/12/2023

Cas clinique

Mme A. 67 ans, a comme antécédent principal un adénocarcinome ovarien de haut grade, (stade IV B), associé à une carcinose péritonéale. Sa prise en charge a comporté une coelioscopie exploratrice et une chimiothérapie néo-adjuvante efficace au plan clinique et sur les marqueurs. 

Le 8 juin, une équipe constituée d’un chirurgien gynécologue et d’un chirurgien digestif pratiquent une chirurgie carcinologique de réduction tumorale associant une hystérectomie totale, une annexectomie totale, une omentectomie (ablation du grand épiploon), une splénectomie et une résection du péritoine diaphragmatique droit et gauche.

Dans le compte-rendu opératoire, il est signalé :

  • Une perforation accidentelle de la coupole diaphragmatique gauche lors de la libération du pôle supérieur de la rate, entraînant un pneumothorax traité par la mise en place d’un drain de Blake fixé à travers la perforation par une bourse de Vicryl et sortant à gauche. 
  • Le geste est complété par une splénectomie car il existe des nodules de carcinose péritonéale sur la rate.
  • Une résection des nodules de carcinose inclus dans le muscle diaphragmatique, dont l’ablation d’une large plaque de carcinose responsable d’une perforation du diaphragme traitée immédiatement par une suture faite de points en X de Vicryl et un surjet sur le péritoine, sans drainage à droite.

En janvier suivant, la patiente est considérée en "rémission complète" sous Avastin®.

Le 14 janvier à 15 h, elle se présente aux urgences du centre hospitalier privé où elle est suivie. Depuis la nuit précédente, elle se plaint de douleurs abdominales et de vomissements (au nombre de 6 dans la nuit, et de 4 le matin). Elle est toujours sous Avastin® en traitement d’entretien pour sa pathologie ovarienne. Les dernières selles remontent à 48 heures.

Dans le dossier rempli par l’urgentiste de garde, on note :

  • abdomen souple sans défense, orifices herniaires libres, 
  • fréquence cardiaque à 103/min, tension artérielle maintenue, évaluation de la douleur (EVA) à 3 à 15 h puis à 0 à 17 h et 19 h.
  • biologiquement, GB : 13 000/mm3, Na : 144 mmol/L, protides : 75 g/L procalcitonine : 0.02 ng/mL (normale), lactates veineux : 4.36 mmol/L (N 0,5-2,2). 
  • Scanner abdominal (14 janvier : "pas d’ischémie mésentérique, pas de syndrome occlusif, hernie hiatale et apparition d’une hernie diaphragmatique gauche, pas de pneumopéritoine, pas d’épanchement. Il est proposé une réévaluation à 18 h avec un éventuel scanner abdominal secondaire".

Devant "l’absence d’une pathologie digestive aigüe" (?), l’urgentiste décide de demander l’avis du médecin oncologue qui suit la patiente. Après un entretien téléphonique, ils décident, d’un commun accord, de prescrire une rééquilibration hydrique, des antalgiques de palier 1, des anti spasmodiques (Spasfon®) et des anti émétiques (Primpéran® puis Zophren®). 

A noter qu’aucune communication verbale entre l’urgentiste et le radiologue n’a lieu sur l’aspect de la hernie diaphragmatique "apparue".

Après la réalisation du scanner, la patiente est hospitalisée dans le service de cardiologie mais sous la responsabilité du médecin oncologue.

Le 15 janvier, la patiente ne se plaint pas de douleurs mais n’ose pas s’alimenter pour éviter les vomissements. C'est seulement dans la soirée, que le médecin oncologue passe la voir.  

Dans le dossier, il note qu’il faudra prendre l’avis du gastro-entérologue et du radiologue mais aucune demande d’avis n’est formulée.

Le 16 janvier à 8 h 47, la patiente est retrouvée, dans son lit, non réactive, en arrêt respiratoire, avec une hypotension à 7/4. Le réanimateur de garde constate un arrêt cardio-respiratoire et pratique un massage cardiaque externe avec mise sous adrénaline. Une intubation était pratiquée mais sans pose d’une sonde gastrique.

Un scanner cérébral et un scanner thoraco abdominal sont demandés.

Les scanners cérébral et thoracique du 16 janvier sont réalisés chez une patiente intubée, ventilée, sans sonde gastrique : 

  • "Pas de saignement intra-parenchymateux cérébral, œdème cérébral.
  • Les 3/4 de l’hémi-thorax gauche sont occupés par l’estomac qui est distendu sur occlusion haute".
  • Il est alors conclu à un syndrome occlusif haut de l’estomac sur exceptionnel volvulus gastrique nécessitant un avis chirurgical urgent. 

Après appel du chirurgien digestif de garde, mise en place d’une sonde nasogastrique ramenant 1 750 ml de liquide fécaloïde.

La patiente est ensuite transférée par le SMUR dans le service de réanimation au centre hospitalier départemental. 

Face à une patiente présentant un état de choc avec une encéphalopathie post anoxique sévère, de mauvais pronostic, une limitation thérapeutique est décidée.

Le 20 janvier, décès de la patiente.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants-droit de la patiente pour obtenir réparation des préjudices qu’ils ont subis (mai 2021).

Expertise (mai 2021)

Pour les deux experts, l’un professeur des universités, chef de service de chirurgie digestive et l’autre praticien hospitalier, anesthésiste-réanimateur :

"(...) La patiente a présenté à partir du 13/01/2021 un syndrome occlusif haut, en rapport avec une hernie diaphragmatique post-traumatique causée par des lésions du diaphragme gauche occasionnées lors de son intervention oncologique du 08/06/2020. L’analyse de l’imagerie montre une dilatation gastrique et une déviation médiastinale liée à celle-ci. Cette déviation médiastinale est la signature du caractère compressif de la hernie sur le cœur. L’évolution spontanée de cette occlusion intra thoracique a abouti à une complication mécanique aigue compressive qui a été à l’origine de l’arrêt cardiocirculatoire de la patiente (voir références en fin d’expertise). Celui-ci a généré malgré les manœuvres de réanimation, des lésions cérébrales anoxiques irréversibles qui ont causé le décès de la patiente.

La symptomatologie du syndrome occlusif haut, clinique et radiologique dès le premier scanner du 14/01/2021 devait mettre en éveil les équipes qui prenaient en charge la patiente sur cette pathologie certes rare mais qui est décrite par le radiologue dans son compte rendu. Celui-ci n’a pas été compris par l’urgentiste, qui aurait dû être alerté directement par le radiologue. Une autre conduite à tenir que la surveillance par scanner secondaire devait être décidée avec appel du spécialiste gastro-entérologue de garde (chirurgien et/ou médecin) et mettre en place une sonde naso-gastrique et éventuellement pratiquer une fibroscopie oesophago-gastrique.

L’aspiration du contenu (aérique et liquidien) de l’estomac hernié aurait probablement évité la compression aigue médiastinale et l’arrêt cardiocirculatoire conséquence de celle-ci. Le traitement d’urgence était simple et laissait le temps de réfléchir sur la conduite à tenir.

Une intervention en urgence différée (par voie abdominale et/ou thoracique, avec ou sans matériel prothétique) était ensuite recommandée (mortalité 5-17 %). Geoffrey Paul Kohn et al. Surg Endosc 2013 ; 27 : 4409-28.

Sur le plan des responsabilités individuelles

L’urgentiste a orienté son diagnostic vers une pathologie digestive basse à type d’occlusion ou d’infarctus mésentérique, se fondant sur le tableau clinique bien que la patiente avait un ventre souple et plat et que le radiologue avait décrit une hernie diaphragmatique. La confusion est due à la mauvaise interprétation des mots du compte-rendu du radiologue qui a fait prendre la pathologie décrite comme une simple hernie hiatale alors qu’il s’agissait d’une hernie diaphragmatique étranglée.

Un contact direct entre les deux médecins était nécessaire pour que le radiologue explique à l’urgentiste que ce n’était pas une hernie banale mais bien une urgence médico-chirurgicale, avec l’appel d’un spécialiste digestif qui aurait mis en place une sonde gastrique et effectué une fibroscopie afin de réfléchir ensuite à la conduite à tenir en toute sérénité.

  • Le radiologue a interprété le scanner mais sans attirer l’attention de l’urgentiste sur la gravité de la situation et son caractère exceptionnel. Son compte rendu devait être expliqué.
  • Le médecin oncologue n’a pas recherché la cause de l’hospitalisation initiale et n’a pas demandé  d’avis spécialisé alors que l’établissement disposait d’un chirurgien digestif et d’un gastro-entérologue de garde.

Si le diagnostic d’occlusion haute à travers la hernie diaphragmatique avait été fait, le traitement initial aurait été la mise en place d’une sonde gastrique avec la pratique d’une fibroscopie gastrique. Dans un second temps, une intervention chirurgicale aurait été programmée. Le taux de mortalité d’un tel geste chez une malade sous Avastin® au long cours, aurait été de 10 %.

Au total, Il y avait donc 90 % de chance de survie. Le fait que la patiente soit décédée entraîne une perte de chance de 90 %, à répartir sur les intervenants à raison de 30 % chacun. Cette répartition égale est en lien avec un manque de discussion collégiale entre ces médecins.

Rôle de l’état antérieur ?

L’état antérieur a joué un rôle dans la constitution de la hernie diaphragmatique puisque consécutive de la chirurgie carcinologique mais pas dans la méconnaissance du diagnostic de volvulus gastrique à travers celle-ci. Les experts ont seulement pris en compte le danger que l’Avastin® aurait représenté dans une chirurgie même en semi-urgence."

Avis de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (mai 2021)

Pour la Commission :

"(…) Le médecin urgentiste face à un tableau clinique qui évoluait apparemment bien - puisque la hernie était vide - et non alertée par le compte-rendu d’imagerie, a uniquement préconisé une surveillance en hospitalisation et a contacté le médecin oncologue de la patiente, avec lequel il a décidé de la prescription d’un apport hydrique, d’antalgiques de palier 1, d’antispasmodiques et d’antiémétiques.

Il ressort du rapport d’expertise qu’il aurait pourtant été nécessaire de faire appel à un spécialiste digestif, de mettre en place une sonde gastrique et d’effectuer une fibroscopie afin de réfléchir ensuite à la conduite à tenir.

Il résulte de ce qui précède que les soins délivrés par le médecin urgentiste n’ont pas été conformes aux règles de l’art. 

Le médecin radiologue aurait dû contacter le médecin urgentiste afin d’attirer son attention sur la gravité de la situation et lui expliciter son compte-rendu.

Il résulte de ce qui précède que les soins délivrés par le médecin radiologue n’ont pas été conformes aux règles de l’art.

Le médecin oncologue ne s’est rendu auprès de la patiente que le 15 janvier 2021 à 19 heures, soit un jour plus tard, sans avoir visualisé les images scanographiques.

Les experts relèvent que le médecin oncologue, qui connaissait particulièrement bien le dossier de la patiente, n’a pas recherché la cause de l’hospitalisation initiale et n’a pas demandé d’avis spécialisé.

Il résulte de ce qui précède que les soins délivrés par le médecin oncologue n’ont pas été conformes aux règles de l’art. 

Si le diagnostic d’occlusion haute à travers la hernie diaphragmatique avait été fait, une sonde gastrique aurait été mise en place puis une fibroscopie réalisée et, dans un second temps, une intervention chirurgicale aurait été programmée, avec un taux de mortalité dans le cas d’un patient traité par Avastin® que les experts estiment à 10 %.

En conséquence et après en avoir délibéré, la Commission retient que la faute commise par les médecins urgentiste, radiologue, oncologue a fait perdre à la patiente une chance de survie qu’elle estime à 90 %, cette perte de chance devant être répartie à parts égales entre les médecins urgentiste, radiologue et oncologue. (…)"

Commentaire

En préambule de leur rapport, les experts rappelaient qu’il y avait trois catégories de hernies diaphragmatiques : 

  • Les hernies congénitales sont dues à des défauts de solidité de la paroi diaphragmatique liés à des "malformations" embryologiques lors du développement (hernie postéro-latérale de Bochdanek ou antérieure de Morgagni). La hernie de Bochdanek1 est la plus fréquente, surtout connue chez les nouveau-nés. En revanche, elle est rare chez l’adulte (mais possible : 45 ans2, 61 ans1.
  • Les hernies acquises se développent dans des points anatomiques de fragilité (comme les hiatus œsophagies ou aortique ou cave), c’est le cas lors des classiques hernies hiatales.
  • Les hernies post-traumatiques qui sont causées par des lésions du diaphragme arrivant lors d’un choc direct ou indirect (cas de la patiente).

La symptomatologie clinique polymorphe et non spécifique, voire absente, explique que le diagnostic de hernie diaphragmatique post-traumatique est souvent posé, chez l'adulte, à distance lors d’une complication aiguë. Ainsi, chez un homme de 28 ans, victime d’une plaie par arme blanche à la base thoracique gauche responsable d’un hémothorax de faible abondance ne nécessitant qu’une simple surveillance, la plaie diaphragmatique ne s’est révélée que 3 ans plus tard3.

Les hernies diaphragmatiques congénitales ou post-traumatiques peuvent rester asymptomatiques. Elles peuvent entrainer des symptômes plus ou moins importants mais souvent trompeurs comme chez cette patiente de 45 ans, souffrant depuis plusieurs années de douleurs de l’hypochondre droit avec mise en évidence par un scanner thoracique d’une hernie de Bochdalek avec issue d’une partie du foie2.

Mais lors de l’évolution de ces 2 types d’hernies diaphragmatiques, peuvent apparaitre des complications graves nécessitant un traitement d’urgence. Ces complications sont de deux types :

  • Le plus fréquemment, il s’agit d’une ischémie aiguë de l’organe hernié (estomac4, colon3 intestin grêle ; pouvant aboutir à la perforation de l’organe et donc à une pneumopathie ou une médiastinite infectieuse. C’est un état qui peut se développer sur plusieurs jours et qui doit être prévenu par la chirurgie.
  • Les complications aiguës mécaniques sont liées à la dilatation de l’organe hernié par le syndrome occlusif dans un contenant contraint (l’hémi-cage thoracique gauche ou droite) : c’est le cas de la patiente décédée des suites d’un arrêt cardiaque par compression du cœur par l’estomac dilaté,  ou d’un patient de 61 ans consultant à l’hôpital pour une douleur de l’hypochondre gauche sans anomalies de l’examen abdominal. Ce patient était renvoyé chez lui avec un traitement symptomatique. Dans les 2 à 3 jours suivants, apparition de nausées, de vomissements et d’un arrêt du transit intestinal rapidement suivis d’une dyspnée aiguë entrainant une hospitalisation en urgence. Le scanner thoraco-abdominal révélait une hernie de Bochdarek avec issue de l’angle colique gauche et de l’épiploon, envahissant l’hémithorax gauche et comprimant l’hémithorax droit. Evolution simple après chirurgie d’urgence1.
     
Références
(1) Jansus P et al. La hernie de Bochdalek, cause rare de dyspnée et de douleurs abdominales chez un adulte. Rev Med Suisse  2009 ; 5 1061-4.
(2) Doamba R N, et al Hernie de Bochdalek avec issue hépatique en intrathoracique chez un adulte traité par voie robotique : à propos d’un cas. Pzn Afr Med J 2021 : 39, 79-85.
(3) Mahmoudi A, Salem R. Hernie diaphragmatique étranglée : un piège à ne pas méconnaitre Pan Afr Med J 2015 ; 21, 27-8.
(4) Hassine E et al Hernie diaphragmatique étranglée intrathoracique. Rev Maladies Respiratoires 2003 ; 20, 797-71.

 

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